Nationale Koordination Seltene Krankheiten
Coordination nationale des maladies rares
Coordinamento nazionale malattie rare
Coordination Rare Diseases Switzerland

Interview Mélanie Gillard

Gillard.jpg

Photo : personnelle
Interview : Christine Guckert (kosek)

De quelle maladie souffrez-vous exactement ?

Je souffre de la NPF Neuropathie des Petites Fibres (étiologie idiopathique).

Quand avez-vous ou vos parents ont-ils pris conscience des symptômes ?

C’est en août 2015, après quelques jours où j’ai dû restée allongée suite à une opération bénigne que j’ai pris conscience que les douleurs ressenties dans mes pieds surtout puis dans mes jambes étaient inhabituelles. J’ai d’abord pensé à des courbatures car autrefois j’étais sportive. Chez moi, les douleurs chroniques se manifestent surtout en position statique. Cette affection neurologique se caractérise par une sensation de picotements, de brûlures, un engourdissement fort comme si mon corps était mis sous vide avec une sensation de pression forte autour des membres et un sentiment d’être écrasée. Elles se présentent souvent par les pieds puis progressent vers le haut du corps.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour obtenir un diagnostic précis ? Et combien de médecins ont-ils vu ?

J’ai informé mon médecin traitant lorsque les douleurs s’intensifiaient et ne s’en allaient pas. Il m’a envoyé consulter de nombreux spécialistes : neurologue, rhumatologue, psychiatre, etc. Malheureusement le résultat était le même.
Courant 2017, en parallèle de mes rendez-vous médicaux, j’ai cherché des informations sur Internet par rapport à mes symptômes. Je suis tombée sur la page web www.info-maladies-rares.ch. J’ai appelé plusieurs fois et on m’a expliqué le processus pour obtenir un rendez-vous au Centre pour Maladies Rares. Finalement après 10 mois d’échanges entre la coordinatrice info-maladies-rares.ch et les différents interlocuteurs, j’ai été reçue et les rendez-vous se sont enchaînés.
A l’été 2019, malheureusement, le résultat était le même. Le médecin de la consultation ambulatoire de la douleur m’a alors dit: «Vous travaillez à 100%, vous fonctionnez Madame, on ne peut plus rien faire pour vous si ce n’est vous encourager à poursuivre une activité physique et consulter si les troubles de votre humeur venaient à s’exacerber.». Je me revois encore comme si c’était hier dans cette salle d’examen. J’aurais pu m’effondrer mais je n’ai rien lâché.
Durant l’automne 2019, j’ai décidé d’écouter mon corps, de relever les symptômes et les douleurs. J’ai démissionné, trouvé un emploi à 80% pour poursuivre mes recherches et consacré du temps à ma santé pour réduire l’intensité des douleurs et améliorer mon quotidien. J’ai pris le temps de classer tous les rapports / résultats d’examens pour constituer un classeur fédéral « mon Dossier Personnel Médical complet depuis 2015 ». Je pars du principe que nous faisons partie du problème mais également de la solution alors cet échec à Genève a boosté ma motivation à mettre un nom sur cette maladie.
Au printemps 2020, mon médecin traitant entend mon besoin d’obtenir un rendez-vous et adresse mon dossier à la « Consultation des erreurs innées du métabolisme ». Je suis reçue par deux spécialistes qui confirment que je présente des douleurs musculosquelettiques des membres et transmettent mon dossier à leur consœur du Centre d’antalgie qui a pris le temps de lire l’ensemble des rapports que je lui apportés dans mon classeur fédéral. Elle m’a proposé un examen supplémentaire : une biopsie cutanée car elle pense à une maladie des petites fibres nerveuses. Eurêka ! A l’automne 2020, le diagnostic est confirmé : je souffre de la NPF – Neuropathie des Petites Fibres.

Comment avez-vous vécu, vous et votre famille, la recherche d'un diagnostic ? Qu'est-ce qui a été difficile ou stressant ?

Durant cette période à la recherche de diagnostic entre fin 2015 et 2020, en dépit de ma maladie, je travaillais encore à 100%, je n’avais pas mis mon employeur au courant. Avec une « maladie invisible » et sans diagnostic, c’était tabou pour moi d’expliquer cette situation. Garder ce secret était lourd. Seul mon mari se rendait vraiment compte de ma souffrance même si j’essayais de le préserver.
La pire des choses lorsque l’on vit avec une maladie que personne d’autre n’a à première vue, c’est la solitude. Je me suis sentie incroyablement seule. Ma qualité de vie a pris un coup et n’est plus ce qu’elle était. Avant j’étais de nature très active, j’étais un bout en train, pleine d’énergie pour mener travail et études en cours d’emploi en parallèle, faire du sport, des activités avec mon mari et des ami.e.s en soirée et/ou en week-end. Tout s’est arrêté d’un coup. De nature positive, je me disais que c’était passager. Qu’une fois qu’on aurait trouvé « la solution / la réponse », ma vie reprendrait son cours normal.
Durant ces 5 années, j’ai aussi découvert Proraris et ses membres isolés. Chaque année j’ai participé à la RDD Journée Internationale des Maladies Rares au mois de mars. Grâce à mes rencontres au sein de cette association, j’ai rejoint un groupe de parole des membres isolés romands à Lausanne afin d’échanger sur notre expérience de vivre avec une maladie rare. Fin 2018, ce groupe s’est transformé en association « UniRares ». J’ai accepté la vice-présidence, nous avions de jolis projets pour rendre visible et faire avancer notre cause. Malheureusement, l’association pas survécu à la période Covid-19, nous avons dû nous résoudre à la dissoudre et retourner chez Proraris en tant que membre isolé. Pouvoir échanger avec d’autres malades et me mobiliser pour le droit au diagnostic pour toutes ces personnes concernées m’a permis de tenir et d’avancer malgré les difficultés. En Suisse, des milliers de gens sont pourtant dans la même situation que moi. J’ai consacré énormément de temps à chercher ce diagnostic et tous ces patients ne peuvent pas s’offrir ce luxe.

Un Centre pour Maladie Rare ou une helpline (ligne d’assistance) vous ont-ils aidé à obtenir un diagnostic ?

Oui, j’ai eu plusieurs échanges avec la coordinatrice du Portail Romand des maladies rares pour l’obtention d’un rendez-vous.

Avez-vous parfois eu le sentiment de ne pas être pris suffisamment au sérieux lors des examens ?

Oui. Ce n’était pas facile d’expliquer à plusieurs reprises mes symptômes, surtout après avoir été vue à plusieurs reprises par mon médecin traitant puis par plusieurs spécialistes ensuite retour chez le médecin traitant, finalement au Centre pour Maladies Rares puis chez le psychiatre. L’exercice était plus facile après avoir pris le temps fin 2019 de constituer mon Dossier Personnel Médical. J’étais capable d’utiliser les termes médicaux adéquats pour expliquer mes douleurs chroniques et mes symptômes et je suis tombée sur une équipe formidable au Centre d’antalgie.

Qu’est-ce que cela a signifié d'obtenir finalement un diagnostic ?

J’ai ressenti un réel soulagement. Après 5 ans, c’est fort d’entendre de la bouche d’un médecin que mes sensations subjectives portent un nom. Elles sont bien réelles et que ce n’est pas « dans ma tête » comme on me l’a souvent dit. Ces douleurs chroniques ont bouleversé ma vie. Vivre avec cette maladie c’est accueillir une « nouvelle compagne de vie ». Je ne connais pas la cause de son arrivée dans mon existence mais aujourd’hui je tolère sa présence sans toutefois l’accepter.

Avez-vous rencontré des difficultés avec la caisse-maladie pour obtenir un médicament ou une thérapie après le diagnostic ?

Non, pas pour l’instant. Mais de nombreux frais sont à ma charge car j’ai une assurance maladie de base.

Que signifie votre maladie pour vous aujourd'hui au quotidien ?

Les douleurs sont là tout le temps. Grâce aux traitements, je peux poursuivre mon activité professionnelle à temps partiel, envisager des activités que j’apprécie quand les douleurs diminuent. Une coach m’a aidée à reprendre le sport avec plaisir. Plusieurs thérapeutes m’accompagnent pour améliorer mon quotidien car l’intensité des douleurs est croissante surtout en hiver et je dois l’admettre ma « nouvelle compagne de vie » prend chaque année un peu plus de place.
J’ai mis en place un rituel du matin pour mobiliser mes pieds et jambes au réveil. J’écoute mon corps et je le prends chaque jour comme il vient. Il y a des hauts et des bas. En été c’est toujours mieux qu’en hiver alors j’en profite au maximum. J’ai aussi appris à dire non. Chaque soir, je consacre au moins une heure à la relaxation ou à faire des étirements ou des renforcements musculaires, des bains de pieds, etc… j’essaie de varier les plaisirs car les nuits sont compliquées. Aujourd’hui je sais que si je ne le fais pas le lendemain sera vraiment compliqué. Mon alimentation a été revue par une naturopathe.

Comment votre famille/vos amis gèrent-ils la situation ?

Je ne peux pas répondre à leur place alors j’ai posé la question à mon mari, voici sa réponse :

« Il m’est difficile d’accepter la maladie de ma femme, elle rythme mon quotidien. Nos activités en commun ont fortement diminué étant donné sa fatigue chronique et les douleurs constantes. J’essaie d’adapter mon rythme au sien. Malgré cette épreuve, mon amour envers elle reste entier et je serai toujours présent pour l’épauler et la soutenir quelle que soit l’évolution la maladie. »

Effectivement, la maladie a imposé son rythme. Le sujet reste sensible, chacun a ses limites et le dialogue est primordial. On s’apprend l’un à l’autre mais je sens que le plus difficile est la gestion du caractère imprévisible et chronique de la maladie. J’aime beaucoup cette citation d’Albert Einstein (1879-1955) : « La vie, c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre ».

Faites-vous partie d'une association de patients et cela vous aide-t-il ?

Oui. Proraris m’a aidé durant mon parcours à la recherche d’un diagnostic et son secrétariat m’a mise en contact avec d’autres malades et associations. J’ai participé à toutes les RDD depuis mon inscription et j’essaie de me rendre à l’AG annuelle.
La création d’UniRares fin 2018 a été un événement important et très enrichissant. J’ai beaucoup appris dans ma fonction de vice-présidente. Avec mes collègues du comité, nous avions de jolis projets et grâce à ces objectifs, j’ai rencontré des personnes qui ont compté dans mon processus de recherche de diagnostic. Notre but était de fédérer un maximum de patients isolés, de faire connaître et reconnaître les patients atteints de maladies rares voire ultra-rares et de créer un espace de parole et d’écoute. Je ne regrette pas mon investissement et je poursuis mon engagement de manière différente.
En 2023, Proraris m’a permis d’avoir contact avec 4 autres personnes souffrant de la même maladie NPF en Suisse Romande et une en Belgique, nous avons créé un groupe sur « un service de messagerie instantanée ». Nous avons organisé notre première viso-conférence tous ensemble pour faire connaissance avant Noël et depuis nous partageons des astuces pour améliorer notre quotidien, nos souffrances, nos lectures d’ouvrages, nos expériences de traitement positives ou négatives, nos inquiétudes et nous nous encourageons, c’est très précieux. Je suis encore émue de l’écrire car c’était la toute première fois depuis 2015 que le témoignage d’autres personnes fait tellement miroir à mon quotidien/ma vie de malade. C’était assez perturbant et rassurant en même temps car en plus du diagnostic médical, je connais aujourd’hui d’autres malades qui s’expriment comme moi sur leurs symptômes. Nous avons plusieurs expériences semblables en commun : les symptômes, la maladie, la recherche de diagnostic, les douleurs chroniques, etc…
Depuis 2021, je participe aussi au « Laboratoire Citoyen » animé par le ColLaboratoire de l’Université de Lausanne (UNIL) dans le cadre de l’initiative Santé intégrative & société de la Fondation Leenaards.

Comment avez-vous vécu la dissolution de l’association Unirares ? Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui à une personne sans diagnostic à la recherche d’une association de patient-e-s ?

A l’été 2022, la décision de dissoudre UniRares a été difficile à prendre mais il a bien fallu se rendre à l’évidence que s’engager dans une association demande du temps. Vivre avec une maladie, suivre ses thérapies, poursuivre une activité professionnelle absorbe une grande partie des ressources personnelles. La pandémie Covid-19 ne nous a pas épargné et a aggravé une situation fragile qui a conduit à la dissolution. Pour moi, c’était essentiel les membres UniRares puissent rejoindre Proraris en qualité de membre isolé s’il n’existe pas d’association de patients spécifique en pour garder les liens.
Aujourd’hui, je recommande aux personnes sans diagnostic de devenir membres isolés chez Proraris car l’association a un grand nombre de maladies répertoriées et peut les mettre en contact avec d’autres membres comme ça a été le cas pour moi. Gardez confiance, ne lâchez rien et adressez-vous à une Helpline pour les maladies rares et aux professionnels des Centres maladies rares en Suisse. Nous avons la chance dans ce pays de bénéficier d’un niveau de prise en charge de qualité même si parfois le parcours est harassant.

Retour aux témoignages

Anmelden